Une nouvelle corédactrice en chef : entretien avec Kate Sheckler
Par Francesca Robitaille
Professeure d’anglais au Collège Marianopolis, Kate Sheckler rejoindra l’équipe des Horizons imaginaires en tant que corédactrice en chef du blogue culturel à compter de l’automne 2018. Auteure à l’esprit lucide et engagé, elle s’intéresse aux littératures de l’imaginaire, qu’elle enseigne et étudie, en se spécialisant sur l’enjeu des métaphores dans l’œuvre d’Ursula Le Guin. Avec cette entrevue réalisée par Francesca Robitaille, qui en a été l’étudiante, on vous invite à venir à la rencontre de Kate et à la découvrir avant son arrivée officielle dans le projet. Vous remarquerez que l’article passe du français à l’anglais, de l’anglais au français, mais on ne vous dira pas ce qui a été traduit (ou pas); on vous laisse le deviner!
Francesca Robitaille : Rebonjour, Kate! Ça me fait très plaisir de te revoir!
Kate Sheckler : Rebonjour, Francesca! Heureuse de te retrouver!
Francesca Robitaille : Et pour commencer, allons-y avec la base : qu’aimes-tu le plus dans la lecture de la science-fiction et de la fantasy?
Kate Sheckler : Je suis ambivalente quant à mes rapports avec la science-fiction et la fantasy. Je m’en tiendrai principalement au premier genre, car je m’y connais bien mieux en science-fiction. La science-fiction est un genre divisé, puisque les membres de la communauté qui évolue autour ne s’entendent pas tous sur les critères qui font la SF.
My interest in science fiction comes from how it offers different kinds of horizons, like the name Horizons imaginaires suggests. In writing science-fiction, you can toss out the world to some degree – which is the foundation of science-fiction – but it can also occur a long time in the past or on a different planet. That distance between what you know and what you are writing allows you to imagine something completely new, such as governments or societies evolved upon completely different standards. In doing so, it is possible to imagine extreme alternatives. From here, it is possible to imagine real alternatives for interacting with the Other, negotiating the world in ways that are truly different from our experiences, though a whole section of science fiction ignores this and focuses on killing the Other.
Science-fiction does all this while staying true to, in theory, the rules of physics, while fantasy does not have to justify the world scientifically, allowing you to build the world completely as you like, which is pretty amazing. In science fiction, this line is easily blurred by the creation of technology that does not exist.
Francesca Robitaille : The rules of physics evolve with new discoveries, which further blurs the line.
Kate Sheckler : And what both genres offer, if they are written in the most courageous way, is the ability to question not only the world as it is but also your perception of the world. By looking at your own world as a stranger within it, it allows you to question if things could be organized in a different way, such as why do we have government, marriage, or gender?
Il y a aussi la défamiliarisation ou la « distanciation cognitive », comme disait Darko Suvin, qui nous permet d’aborder ces idées et ces concepts normalement familiers d’une manière complètement différente, de les réévaluer, et cela nous entraîne vers une compréhension alternative de ce que c’est d’être un corps dans le monde, et un esprit dans le monde.
Francesca Robitaille : Tu enseignes un cours d’anglais sur les genres littéraires au Collège Marianopolis, que tu as construit autour de la science-fiction : que trouves-tu que ce genre apporte à ton enseignement et à tes élèves?
Kate Sheckler : Nous traversons le monde comme s’il est solide et connaissable, et bien que toute la littérature nous permet de questionner cela, l’opération est différente en science-fiction, car les œuvres y créent une approche du monde qui nous force à nous questionner sur ces choses sur lesquelles on ne s’interroge jamais.
Tu as suivi mon cours, et tu te rappelles peut-être que j’ai dit qu’on base notre vie sur des hypothèses, ce qui est tout à fait acceptable, car sans elles, nous ne pouvons pas vivre au quotidien.
Francesca Robitaille : Yes, I remember this concept, the idea that you just assume the world will be there when you wake up in the morning.
Kate Sheckler : Indeed, and you don’t check that the floor is there when you put your foot out of bed. You have to do so, because the minute you stop, you need to check everything, and then you can never move. These assumptions are how we live, but that does not mean we shouldn’t question them sometimes.
The reason I teach science fiction is that there are other sorts of assumptions, that grow out of those basic ones we just mentioned. These assumptions are not nearly so benign or so useful. It’s one thing to assume the floor will be there, and it’s another to assume you deserve your position in society because you have white skin or because you are male, etc., something that so many people do – and I’m not taking myself off that. You have to question these assumptions, asking yourself “What do I know and what do I think I know?” If someone says “We must defend ourselves, we must be militarized, we must kill the Other”, we should question this, as perhaps we do not need to defend ourselves, to be militarized, or to kill the Other. The idea that perhaps you do not need to assume such things about a person is where science fiction is a more conductive medium, bringing the questions to the forefront, whereas other genres tend to be more accepting of these assumptions.
Ce n’est pas nécessaire de remettre en question ces hypothèses chaque jour. Cependant, il faut le faire régulièrement, et je crois qu’un cours de littérature permet le bon contexte pour cela. Grâce à un tel cours, les gens peuvent saisir non seulement l’influence de la littérature, mais aussi les joies qu’elle peut apporter. Ils s’y font rappeler qu’ils peuvent contester les choses, et que ces questionnements ne sont pas menaçants, ils sont source de plaisir. Parler de cela dans le cadre d’un cours me permet de rappeler aux élèves qu’ils devraient savoir pourquoi ils se trouvent dans ce cours. Et si tout se passe bien, certains d’entre eux en ressortent contents d’avoir été là pour plus qu’un simple passage à traverser en vue d’obtenir un diplôme, mais idéalement, comme une expérience qui les aidera à améliorer leur relation avec le monde.
Francesca Robitaille : Pour qu’on apprenne à te connaître un peu mieux, peux-tu nous parler de certains de tes auteurs préférés en SFF, et nous expliquer pourquoi tu aimes leurs œuvres?
Kate Sheckler : Ursula Le Guin has been my favourite author for years and years, and as you know, I’m currently writing my dissertation, in part on her work. My favourite book of hers is The Telling, for personal reasons. The protagonist in this novel is a skeptic who witnesses things that are not explainable by science. This idea is interesting because Le Guin writes fantasy, and she could easily have done so with this book, yet she chose not to, she chose to write it as science fiction. Le Guin is careful about not falling into mysticism, but she is aware that rationalism does not explain everything in the world, which raises a lot of questions. I find it courageous of her to ask these questions to a science based community, and this courage is what makes this my favourite book of hers.
Most people would consider The Left Hand of Darkness a better book, and it or The Dispossessed her best work. Personally, I feel The Dispossessed to be a little dated now, though it’s still very important and you should absolutely read it. In terms of The Left Hand of Darkness, I do not believe she had the choices people imply she did about gender issues, even though she later stated that she did. The story is character-driven, and Genly Ai is who he is. People often conflate narrator, protagonist and author, stating Le Guin made sexist comments when in fact Genly Ai, kind, generous character that he is, is sexist.
Francesca Robitaille : Also, just because she’s written a sexist character does not mean she condones sexism in any way.
Kate Sheckler : Exactement. Selon moi, lorsque des gens déclarent que Le Guin aurait dû faire les choses différemment, en réalité, ils disent plutôt qu’elle aurait dû écrire un livre différent. Pourtant, puisque cette histoire est portée par Genly Ai et par qui il est, c’est plutôt un rappel que même les personnes gentilles et admirables ont aussi des défauts. Cela fait de Genly un personnage très évocateur, très « résonant ».
Samuel Delany est un autre de mes auteurs préférés, car il est très avant-gardiste, particulièrement pour son temps. Son style d’écriture me rappelle le chant et la danse, et il se rapproche plus d’un chorégraphe que d’autre chose quant à ce qu’il peut faire avec l’écriture. Pour comprendre tout ce qu’il écrit, il faut bel et bien travailler pendant la lecture, et il faut lire le livre une dizaine de fois. Samuel Delany écrit à partir d’une position très marginalisée, en tant qu’homme noir et homosexuel durant les années 1960, ce que je trouve admirable et réellement intéressant. Bien que ses idées ne résonnent pas en moi autant que celles de Le Guin, je trouve son approche au monde tout aussi fascinante et importante. Son travail et sa conception du monde me rappellent que ma propre vision, ou celle de Le Guin, sont intéressantes, mais que la sienne l’est tout autant et qu’elle est importante, et ce même si elle ne vibre pas en moi autant que celle de Le Guin. C’est facile de croire que les visions du monde qui sont très rapprochées de la nôtre sont plus importantes que celles qui en diffèrent, et Delany me rappelle qu’il vaut mieux ne pas tomber dans ce piège.
Ann Leckie est une auteure que j’ai découverte plus récemment, et sa trilogie de l’ancillaire, Les Chroniques du Radch, réalise vraiment des choses qui font que son œuvre se distingue des autres. Dans cette série, ce qui ressort le plus, selon moi, est la façon dont les personnages, comme parties intégrantes du vaisseau, sont tous désignés par des elle, peu importe le genre des personnages. Cela affecte complètement l’histoire, et rend l’identité de genre des personnages beaucoup plus fluide. Par exemple, je me suis surprise à imaginer un genre à certains personnages qui devait pourtant être différent de celui que Leckie leur avait peut-être assigné en les écrivant. Une telle façon de raconter une histoire nous oblige à revoir les idées préconçues que nous avons tous sur l’identité du genre, et sur beaucoup d’autres choses.
I also enjoyed the importance of songs in the story, which really allowed for a characterization of the protagonist, despite the lack of any formal personality due to the cooption of the ship over the individual, which questions many aspects of personality.
Francesca Robitaille : You have recently had the chance to attend the festival des Imaginales, in France, as part of the Horizons imaginaires delegation. What would you consider the highlights of that trip?
Kate Sheckler : For me, that was the first time officially working with Mathieu Lauzon-Dicso, which was really exciting, and it served to see if we can work together, even if that was not at all our intent for the trip to begin with. It simply showed us that not only are we on the same page about intentions and values, but that we can also work in tandem very well. I think that’s important if we are to invest a lot of energy into Horizons imaginaires over the next few years.
The festival was interesting and fun, and I learned a lot about the genres I’ve been involved with so far in an isolated and personal way. It really brought me into the community. Another part I really enjoyed were the discussions we had with publishers and writers in the community over meals lasting anywhere from 3 to 5 hours. It was a big learning curve for me, and not only in regard to language, but seeing people from very different communities with vastly differing opinions talk and laugh together over discussions covering so many topics was great.
Francesca Robitaille : What do you think of the idea that speculative fiction genres might help to connect the Francophone and Anglophone literary communities in Quebec?
Kate Sheckler : Je crois qu’afin de comprendre le besoin de créer des liens entre communautés littéraires, il faut avoir compris, voire senti les effets de la marginalisation qui peut s’y produire. Et les genres de l’imaginaire ont assurément été marginalisés. Cet effet s’illustre bien par le terme de paralittérature, que j’ai récemment appris en français, et qui force la science-fiction et le fantastique dans une position où ils ne seraient pas « de la vraie littérature », bien que ce semble être moins le cas dernièrement. Reste que je connais toujours des gens qui me déclarent sans gêne des choses comme « Je ne lis pas de la science-fiction », « Je ne lis pas de la fantasy. » Vu ce passé vécu dans les marges, je crois que la connexion entre les deux communautés littéraires peut se faire plus durablement que si c’était le centre qui parlait au centre.
Francesca Robitaille : En terminant, qu’est-ce que ça vous fait de rejoindre les Horizons imaginaires? Et qu’espérez-vous apporter au projet? Avez-vous des objectifs précis que vous désirez accomplir?
Kate Sheckler : Le premier sentiment que je ressens grâce à cette opportunité, c’est de l’excitation. Ce qui est étrange avec les opportunités, c’est qu’elles ne se présentent pas toujours au moment où on les souhaite, et ce qu’on ne reconnaît pas toujours comme une opportunité se transforme souvent pour en devenir une par la suite.
I think Mathieu has brought Horizons imaginaires very far to make it what it has become. I think that with the two of us working together, the result of our contributions is larger than the sum of the parts, which has let to future projects expanding a lot. It is allowing us to move towards a strongly connexion-based mandate, and new, novel projects loom closer everytime we talk. Since the whole of what we bring is larger than the sum of the parts, I wouldn’t say it’s something I bring. Regardless, this opportunity has arisen and it will let me do some very cool things.
Finally, I have a question for you, Francesca. You’ve graduated from Marianopolis a year ago and have gone on towards your future. There are practical reasons you’ve stayed in touch with Horizons imaginaires, which are completely valid. I want to know about the other ones.
Francesca Robitaille : I think most of it comes back to my emotional connection to it. I’ve been with Horizons imaginaires since the beginning, and I’m very proud of how far it has gone since then, even though I know this is absolutely not just me, and I’m proud of my contributions to help bring it to where it is. I also love the excitement of seeing where it’s going and how it’s continuing to grow.
Participer au projet est pour moi quelque chose de gratifiant. Bien que ma passion pour la lecture et l’écriture était déjà présente bien avant, elle est seulement devenue tangible dans ma vie, pour moi, à travers mon implication. Ça m’a permis de concilier cette passion avec mon apprentissage des sciences et avec les attentes conventionnelles placées sur moi. Bref, je crois que ma participation dans le projet est pertinente pour mon développement personnel.
Kate Sheckler : One of the reasons I teach is I think literature and language are the foundation of all practical things in life, yet we often lose sight of that. Information is only useful if it can make sense in the world, and that’s ultimately what language does.
Révision : Mathieu Lauzon-Dicso
Bienvenue/Welcome Kate! 🙂