Un roman qui frappe dans le noir
Par Francesca Robitaille
Le Chasseur, une novella de Geneviève Blouin, est paru en 2012 aux Éditions Les Six Brumes, dans la collection «Nova», qui permet à l’éditeur de publier des récits indépendants d’une centaine de pages. On y suit Hugues Dussault dit «Le Chasseur», un ancien champion de combats ultimes, dont la blessure qu’il a subie à la tête l’a rendu aveugle. Suite à cette blessure, Hugues a développé l’acuité de son ouïe, de son odorat et de son toucher, ce qui lui a permis de fonctionner sans la vue. Dès les premières pages, la façon dont est présenté le handicap de Hugues renforce le sentiment d’angoisse et l’anticipation expectative qu’on ressent: comme Hugues est le narrateur, les descriptions qu’on lit sont entièrement dépourvues d’éléments visibles. Cependant, il ne faut surtout pas croire que ces descriptions sont mauvaises, bien au contraire! Geneviève Blouin réussit très adroitement à nous faire ressentir l’environnement de Hugues comme lui le perçoit, à travers les mouvements, les sons et les odeurs qui l’entourent. Par exemple, peu avant la première rencontre entre Hugues et la Méduse, la technique descriptive de Geneviève Blouin m’a permis de m’imaginer en présence des deux personnages, d’une façon plus pleine que si j’avais simplement eu à visualiser la scène. C’est donc dans une ambiance sombre mais sensoriellement stimulante qu’on évolue auprès des personnages, ce qui m’a semblé aiguiser mon appréhension des combats à venir. Parce que malgré sa situation qu’on croirait restreinte, «Le Chasseur» continue à s’entraîner au combat, ce qui l’aide à se remettre de sa blessure.
De plus, j’avoue que ça m’a plu de découvrir un personnage dont la situation de handicap ne le confine pas dans une position de faiblesse par rapport aux autres personnages du livre. Le fait que Hugues soit aveugle lui permet même de transmettre les connaissances et les techniques de combat qu’il a développées plus jeune dans son ancien gymnase, ce qui met bien à mal le concept de capacitisme, c’est-à-dire le traitement systématiquement discriminatoire dont certaines personnes font preuve envers les gens en situation de handicap, qu’il soit physique ou psychologique. Comment ce thème est travaillé me semble rejoindre une certaine ouverture d’esprit que je crois retrouver chez plusieurs jeunes de mon âge, et je pense que le livre de Geneviève Blouin pourrait facilement intéresser les cégépiens et les jeunes universitaires, qui veulent lire de la fiction fantastique et sombre, mais aussi socialement engagée. C’est une grande joie pour moi de retrouver de plus en plus d’oeuvres comme celle-ci, qui traitent ainsi de certains sujets tabous dont, il me semble, il était rarement question auparavant dans les oeuvres de fiction, réalistes ou spéculatives. D’ailleurs, j’ai l’impression qu’en rencontrant ces thèmes rendus de plus en plus visibles dans la littérature de fiction, ça nous permet en tant que lecteurs de nous défaire, un peu sans nous en rendre compte, des stéréotypes que nos milieux de vie nous imposent tout aussi inconsciemment.
Mais quel lien tout ça a-t-il avec Montréal, le thème de notre dossier? Bien que la ville de Montréal ne soit jamais directement mentionnée dans la nouvelle, certains des aspects culturels qui la distinguent sont impossibles à manquer pour un lecteur qui connaît bien la métropole. Franklin, l’ami propriétaire du gymnase où Hugues s’entraînait autrefois, me semble assez bien représenter la communauté anglophone de Montréal, grâce aux expressions anglaises qu’il utilise et à son «franglais» typique. En effet, lorsqu’il parle, Franklin mélange les expressions et les mots du français à ceux de l’anglais, souvent au sein d’une même phrase, ce qui est très habituel chez les Montréalais, dont plusieurs s’expriment en franglais. De plus, pour rester dans le côté sociolinguistique du livre, Hugues et Lisanne dialoguent souvent en employant du vocabulaire populaire ou des tournures orales propres au parler québécois, ce qui m’a fait me sentir dans les rues de ma ville! En lisant Le Chasseur, on entend l’absence voulue du «ne» dans les négations, ou encore la suppression partielle des pronoms, comme dans «j’vais», «t’as» ou «y’avait», etc. Par contre, au-delà des sons montréalais qui parsèment le texte, on ne reconnaît pas les quartiers en soi, les restaurants ou d’autres lieux qui nous permettent habituellement de retrouver nos repères dans la ville. On sent malgré tout la présence de la métropole dans Le Chasseur, peut-être celle que reconnaîtraient ses citoyens s’ils ne pouvaient pas la voir…
Bref, Le Chasseur offre une lecture frappante, autant pour les mordus de fantastique que pour ceux qui se cherchent une porte d’entrée vers ce genre, puisque la version du Montréal qu’on y explore n’est pas trop déstabilisante. Mais rassurez-vous: même s’il est question de statues meurtrières dans le Montréal fantastique de Geneviève Blouin, ces créatures n’ont jusqu’à présent jamais été aperçues dans le Montréal réel! Ou peut-être est-ce parce que les Montréalais sont aveugles?
***Les Horizons imaginaires tiennent à remercier l’éditeur
pour l’exemplaire du livre reçu en service de presse.***
Révision: Alina Orza et Mathieu Lauzon-Dicso
En effet, j’ai délibérément choisi de ne pas situer le roman de manière trop claire dans Montréal, mais je me suis dit qu’entre les cafés, les galeries d’art et les gyms d’arts martiaux mixtes, on comprendrait très vite qu’on ne pouvait pas être ailleurs! 🙂
Et je trouve ça très intéressant que le thème du handicap de Hugues ait retenu ton attention à ce point! 🙂 Je n’avais pas l’intention de faire de cette histoire un récit engagé, mais il semble toucher beaucoup de gens sous cet angle… Tant mieux au fond! 😉
Merci beaucoup pour cette critique! 🙂
C’est surtout le mélange de français et d’anglais qui m’a permis de me situer, puisque les cafés et les gyms d’art martiaux gagnent en popularité par ailleurs aussi! Pour le thème du handicap, c’est quasiment mieux ainsi, puisque je trouve que d’en faire trop un cas, dans le genre « regardez, prêtez attention à ceci », ça risque de transformer ce qu’on veut être un changement à long terme en une cause capricieuse du moment. En le présentant simplement comme c’est, c’est plus pertinent à long-terme, je crois.
Et merci, j’ai adoré prendre les photos (petit moment d’appréciation pour mon équipement d’entrainement)!
PS : Les photos sont superbes! Et très appropriées! 🙂